Libération est mort
Ce journal mythique avait déjà bien évolué et n'était plus vraiment ce qu'il a été. Mais le départ annoncé (et indemnisé) de son dirigeant fondateur, révèle la disparition d'un esprit journalistique ayant renouvelé le genre par une capacité à mélanger de l'info générale avec un esprit frondeur sur le fond autant que sur la forme. De ce point de vue, l'influence du partenaire financier principal du journal n'est pas fortuite. Lentement mais surement Libération aura été rattrapée par la normalisation qu'impose l'économie de marché. Quand on songe aux valeurs autogestionnaires qui présidèrent à sa création, on se dit que la boucle est bouclée et la pensée 68 avec.
Serge July fut l'un des héros de cette période faste pour la grande lessiveuse des idées politiques. A ce titre, il figure parmi les hégéries feuilletonisées dans l'excellent livre d'Hervé Hamon et Patrick Rotman Génération. Beau parcours de cet ancien de la gauche Mao qui symbolisera avec d'autres les mues d'une gauche caviar des AG enfumées de l'UNEF à l'ère mitterrandienne bénéfique en passant par l'épisode calamiteux du drâme de Bruay en Artois. En viellissant, l'homme a transformés ses idéaux révolutionnaires en morgue face aux élites politiques qu'il interviewait. Prenant plaisir à jouer les pères fouetards du microcosme, il n'hésitera pas longtemps pour faire cracher un Rothschild dans le capital de Libération. Au moins Jérôme Seydoux, autre généreux bienfaiteur capitaliste avait-il des accointances avérées à gauche. Edouard de Rothschild n'a pas les qualités d'un compagnon de route et l'a un peu mauvaise de s'être fait enfumé par le grand Serge pour 20 millions d'euros.
Libération sans lui, ce ne sera plus Libération. A 63 ans, Serge July ira certainement trouver réconfort auprès de son vieux pote Philippe Alexandre autour d'une assiette de cahouètes.