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l'éternité plus un jour
19 juillet 2007

Le Collaborateur de Bethléem, de Matt Rees – Albin Michel – 335 p – 19€

9782226177186Sur la thématique marketing du Polar de l'été, ce livre bénéficie d'une belle couverture presse. Nonobstant l'enthousiasme qu'il suscite, la teneur de l'intrigue et l'humanité du récit, il n'est pas sans générer un léger malaise au fur et à mesure que le lecteur tourne les pages.

Tous les ingrédients sont montés en sauce pour faire du Collaborateur de Bethléem, le premier livre d'une série policière en devenir. Un anti-héros fatigué et sympathique, revenu de tout, sans espoir et sans moyen, décide un beau jour de relever la tête pour embrasser la carrière de justicier. L'auteur lui offre la ville de Bethléem  comme terrain de jeu, à l'identique de ce que Barcelone peut être pour Pepe Carvalho. Il y a naturellement des méchants bien méchants. A la bêtise et la lâcheté, ils ajoutent la violence et la cruauté; de quoi offrir un merveilleux contrepoint à l'honorabilité vertueuse du héros.

Omar Youssef, vieux professeur d'histoire qui place son espérance des jours meilleurs dans les enfants qu'il éduque, ne croit pas à la culpabilité de son ancien élève, Georges Saba. Trentenaire chrétien, celui-ci est accusé d'avoir aidé les israéliens à assassiner un jeune palestinien musulman, membre des Brigades des Martyrs d'Al Aqsa. Tout au long du roman, Omar Youssef va s'échiner à démontrer son innocence en vain. Au terme d'une caricature de procès au cours duquel son avocat ne prendra même pas la parole, Georges Saba est condamné à mort. Abattu de fatalisme, son père pose alors cette question terrible: "Comment voulez-vous prouver qu'une accusation est fausse, alors qu'ils n'ont même pas eu à justifier leur soupçon?" Pendu sans délai, il deviendra une victime innocente dans une société palestinienne qui a de plus en plus tendance à idolâtrer des terroristes kamikazes en les élevant au rang de martyrs.

De fait, la procédure promotionnelle, comme la critique, jouent allégrement sur le chaos social, interconfessionnel et politique palestinien. Un slogan publicitaire raccourcit les choses en prétendant, ni plus ni moins que l'auteur "est le Dashiell Hammett de la Palestine". De fait, l'auteur construit son intrigue sur la déliquescence des territoires palestiniens ou plus rien n'accroche à la vie que le désespoir nourri de haine et de violence. Et c'est là que le malaise s'insinue.

Au delà du crime, des bons et des méchants, de l'intrigue qui sied à toute enquête policière, le récit, tendu et haletant, apparait comme la métaphore bienveillante d'un chaos finalement engendrés par ceux-là même qui le subissent. Au fonds, les Palestiniens sèmeraient ce qu'ils récoltent. Si l'état de guerre civile en est là aujourd'hui à Gaza, n'est ce pas au fond le symptôme de leur inappétence de démocratie et d'Etat de droit? L'enquête d'Omar Youssef illustre trop facilement la lutte fratricide d'un peuple divisé en clans et en factions, perclus de haine et de désoeuvrement. Elle conduit à imaginer des Palestiniens limités à des comportements mafieux où l'imposture cache mal l'avidité du gain et la loi du plus fort comme seule perspective.

Ce sentiment est renforcé par le traitement que la critique semble réserver à ce livre. Elle loue la connaissance qu'à l'auteur du terrain sur lequel il construit son récit. Il a vécu dix ans à Jérusalem. Aussi, un journaliste du Figaro magazine croit pouvoir conclure son papier par cette phrase: "Comme si la fiction lui permettait de s'affranchir du politiquement correct selon lequel les Palestiniens sont des gentils et les israéliens des méchants." Les israéliens apparaissent en tout et pour tout deux fois dans le récit, dans des scènes de guerre où leur rôle consiste à répliquer à des attaques terroristes. 

Il n'est pas question de nier le péril des luttes interpalestiniennes sur lesquelles Matt Rees brode son roman. En revanche, il est insidieux de vouloir prétendre user de la fiction pour entendre expliquer ce que des analyses géopolitiques peinent à faire comprendre à partir d'une appréciation équilibrée, sinon équitable, du conflit israélo palestinien.

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Commentaires
G
La façon dont la presse a rendu compte de ce livre est effectivement assez stupéfiante. J'ai trouvé une autre critique qui corrobore notre malaise : http://blog.mondediplo.net/2007-08-30-Nicolas-Sarkozy-une-vision-americaine-de-l-Orient
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S
Je suis en train de lire ce polar , j'ai presque fini, et effectivement plus j'avance et plus je ressens ce malaise né de ce récit où le fond du problème , le conflit pour la terre, n'apparaît pas , les Israéliens sont des soldats lointains se contentant comme le dit l'article de répondre aux provocations des brigades palestiniennes . Tout au plus avons nous un rappel de l'enfance de l'enquêteur, contraint de quitter son village lors de la création d'Israël mais il semble avoir tiré un trait là-dessus , c'est le passé , le présent étant totalement occupé par la sauvagerie inhumaine des combattants palestiniens . J'ai lu différentes critiques ( Rue89 , l'express etc...) toutes élogieuses et je me demandais si c'était moi qui déraillait , votre critique m'a un peu rassurée , je ne suis pas la seule à éprouver ce malaise .
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