Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'éternité plus un jour
17 mai 2008

Le Président et moi, Philippe Ridet, Albin Michel, 233 pages, 17€

9782226183903Avec le nouveau Président de la République, l'édition et la presse sont à la fête. Vu ce flot de récits qui nous submerge d'informations, on se demande comment l'opinion française peut être déçue par Nicolas Sarkozy au point de mettre sa côte de confiance au plus bas. Tout était écrit. Tout est raconté.

En tant qu'expert du Président de la République, Philippe Ridet a bien droit à un succès littéraire, fut-il d'estime. Dix années "à le suivre, à chroniquer ses faits et gestes, à apprendre à lire sur son visage, à décripter ses humeurs dans un plissement d'yeux", méritent d'être payées en retour. Et il le mérite d'autant plus que son récit est plein d'une authenticité marquée par le malaise sous-jacent du journaliste face à l'omniprésence médiatique de Nicolas Sarkozy dans ce que Christian Salmon, théoricien du storytelling, appelle "...une fuite en avant dans l'espace évidé du politique...".

D'abord il y a l'extraversion naturelle de Nicolas Sarkozy. "L'intime est son terrain de jeu. Je jubile, je le montre. Je souffre, je le montre. J'aime, je le montre." Pour le journalisme politique bien ordonné, la chose est déroutante. Philippe Ridet souffre d'une déviance qui s'insinue au fil d'une information oscillant complaisamment entre public et privé. Un comble; lui, le journaliste du Monde est obligé de s'approvisionner aux sources de Point de vue, Gala ou VSD. Face à la mise en scène perpétuellement orchestrée par le Président de la République et "sa firme", où s'entrechoquent, dans un doux mélange, situations matrimoniales et projets politiques, aventures sentimentales et voyages officiels, le journaliste perd ses repéres. Entre information et communication, il peine à donner sens aux "cyclones médiatiques" qui se surajoutent les uns aux autres dans un zapping infernal. En même temps, le journaliste "embedded" (anglicisme faisant référence aux journalistes embarqués par la troupe en Irak) ne doit rien rater d'un déplacement ou d'un discours, d'un geste ou d'une parole. A tout moment un "off" peut surgir; au fond d'un avion, dans la suite d'un grand hôtel intercontinental ou à l'arrière d'un limousine. Chaque détail, en toute circonstance, pourra lui donner la juste mesure de l'état d'esprit de Nicolas Sarkozy, et contribuer à la qualité de son papier.

Ensuite, il y a la proximité avec le presse dont Nicolas Sarkozy joue à merveille, et de façon inédite. Philippe Ridet montre tout au long du livre la manière dont il tisse des liens de proximité avec les journalistes qui couvrent son actualité. Avec le tutoiement de rigueur et les moments de détente partagés entre "vieux compères", l'ambiance prend rapidement un autre relief qu'avec la distance affectée d'un François Mitterrand ou la jovialité craintive d'un Jacques Chirac lorsqu'ils devaient s'entretenir avec la presse. En même temps, Nicolas Sarkozy traite ses "embedded" sans aménité particulière.

Et c'est là où le récit de Philippe Ridet prend la saveur d'un aveu d'impuissance et de résignation qui fait sourire le lecteur. Dans ce lien professionnel, où les sentiments affleurent, se mélangent une dose de respect, un parfum d'estime et une once d'admiration dans une grosse part de détestation ironique pouvant aller jusqu'à une aversion profonde. Mais il faut continuer le jeu. Le journaliste est piégé. Sacrifiant plus ou moins facilement à son propre confort éthique "l'embedded" doit affronter le ridicule de situations qui prêtent le flanc à la critique facile de la connivence. "Le pouvoir et la presse marchant main dans la main pour mieux berner l'électeur, parfaite illustration que toute complicité conduit à la compromission."

Ainsi, même si Philippe Ridet compare une campagne électorale à une colonie de vacances qui part de Roissy, porte 4, il n'y a pas que du bonheur à suivre Nicolas Sarkozy. Jamais aussi bon que dans l'adversité, celui-ci sait répliquer. "Son atout, c'est la parole." Et l'auteur de rappeler avec honnêteté quelques réponses bien senties du Président de la République à des questions maladroites ou quelques situations si provocatrices qu'elles en étaient humiliantes, tel ce déplacement en camargue où des journalistes sont entassés dans une charrette à foin et brinqueballés pour suivre, en fin de campagne, le candidat chevauchant fièrement à travers les marais. "Je vous trouvais un peu pâle" leur avait-il lancé du haut de sa monture pour justifier, goguenard cette mauvaise manière. Sous couvert de cette victimisation  consentie par abnégation professionnelle, Philippe Ridet entend déjouer la perfidie de Nicolas Sarkozy: " Comment pourrait-il encourir le reproche de manipuler les médias puisqu'il cogne dessus à qui mieux mieux?"

Pourtant, Philippe Ridet croit à son métier et à la supériorité du journaliste sur le bloggeur. Il fait même de son engagement aux côtés du Président de la République un sacerdoce. "Mais il faut tenir. (...) . Je continue d'affirmer que le seul rempart de la communication sans fin du président est d'en décortiquer les rouages, qu'il faut opposer l'expertise aux annonces sans fin, et l'ironie de l'écrit au choc des photos. Ce n'est pas gagné d'avance. Que valent nos colonnes grises pleines d'explications subtiles au regard de l'image d'un couple qui se tient par la main face aux pyramides de Gizeh vernies d'or dans le soleil couchant?"

Au plaisir de vous lire, Philippe Ridet. "Oui, il y a encore une place pour le journalisme politique sous le règne de Sarkozy..."

Publicité
Publicité
Commentaires
l'éternité plus un jour
Publicité
Archives
Publicité