Valéry Giscard d’Estaing 1926 - 2020
Du parlementarisme rationnalisé à la démocratie radicale
Le plan de relance européen
L’effet suranné du remaniement
L’art du rebond ou l’usage merveilleux du référendum
Après le grand débat pour sortir de la crise des gilets jaunes, la convention citoyenne pour se réinventer. Emmanuel Macron a l’art de trouver les dérivatifs par lesquels tenter de rebondir.
En recevant, aujourd’hui, les 150 français panélisés qui ont été recrutés pour répondre à la question - comment réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale ? -, le Président de la République est en phase avec la percée des écologistes constatée la veille dans les exécutifs locaux. Lancée il y a un peu plus d’un an, la convention citoyenne et ses 149 propositions arrivent à point nommé. Cet exercice démocratique affiche une dynamique disruptive pour répéter des solutions d’évidence que tout le monde connaît. Du Grenelle de l’environnement en 2007 au débat national sur la transition énergétique de 2013 - chaque fois suivi d’un arsenal législatif -, la plupart des mesures proposées ont déjà été discutées, évaluées et énoncées sans avoir été suivies d’effet.
Mais plus le temps passe, plus l’urgence s’installe. Les enjeux climatiques appellent une prise de conscience qui conduise à faire évoluer les comportements individuels au quotidien tout en engageant des efforts collectifs et des remises en cause systémiques qui ne sont pas gratuits. La préservation de la nature et de notre environnement a un coût. À chacun de payer le prix d’une modernité qui se dissous dans la sobriété et la parcimonie, mais peut-on s’y résoudre spontanément?
Le process démocratique pour la gestion des affaires publiques navigue entre l’incitation et la contrainte. D’un côté, savoir susciter l’adhésion par la force de conviction, la pertinence du message et le charisme du leader exaltant ses troupes à s’engager sur la voie qu’il leur trace - « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » ; de l’autre, être conduit à employer quelques mesures coercitives sous un vent d’autoritarisme nécessaire pour dompter l’esprit frondeur d’un peuple en mal de révolte et d’impertinence - la trajectoire de la taxe carbone.
De ce point de vue, la convention citoyenne est un exercice habile qui détourne l’attention du pouvoir décrédibilisé pour en appeler à la vérité populaire.
Ça ne fait rien. La politique est souvent art de méthode. En matière d’écologie politique , les incantations radicales ont fait long feu. On lui préfère désormais le bon sens de l’opinion. La vertu de cet exercice participatif et délibératif touche à la symbolique de la France d’en bas comme le grand débat entendait capter l’indignation des ronds-points. Y avait-il des « gilets jaunes » parmi les membres de la Convention citoyenne?
Reste qu’une fois passé le temps de la réflexion et du débat, l’exercice amène une déclinaison concrète en droit, a fortiori lorsque l’on attend de lui, pas moins que d’incarner la fin du quinquennat et préparer la réélection du PR. Autant, le grand débat avait calmé les gaulois réfractaires mais s’était achevé sur une incertitude programmatique qui amènerait la réforme des retraites, autant les conclusions tirées des élections municipales baroques appellent un geste politique à double sens. D’abord figurer en acte la transition énergétique qui ne peut plus s’appesantir uniquement en trajectoire, ensuite donner à l’exécutif de la pertinence dans son action pour en faire le réceptacle d’une légitimité retrouvée. C’est la qu’intervient le référendum. « Utile pour emmener le débat dans la société », il confère un caractère plébéien à l’action conduite au plus haut sommet de l’Etat qui le rêve comme un plébiscite offert à sa propre gloire. « Les français veulent plus d’horizontalité et moins de verticalité », ou comment gagner du temps en passant de la convention citoyenne au référendum. Outils par excellence de la Vème République, le recours à l’article 11 de la Constitution symbolise un lien direct et solide qui unit, par un retour de confiance partagée, le peuple à celui qui préside à ses destinées. L’exercice s’avère prometteur et exaltant. Il est aussi à double tranchant. L’histoire compte quelques précédents fâcheux. Emmanuel Macron aime prendre son risque. C’est peut-être pour ça qu’il a suggéré, non pas un, mais deux appels au peuple.
Élections, piège à con!
Le Covid 19 aura raison de nos vies et de notre économie, mais pas de notre démocratie. Pour l’exécutif, il fallait finir le job pour pouvoir envisager autre chose. Les élections municipales entamées le 15 mars, s’achèveront, trois mois plus tard, le 28 juin, jour du second tour. Il concernera 4 922 communes et environ 16,5 millions d'électeurs. Cette date fut décidée le 22 mai. A l’époque, l’état sanitaire était encore, sous la menace d’une hypothétique deuxième vague. Si le conseil scientifique avait considéré que la situation sanitaire s’était « nettement améliorée », il jugeait « difficile d’anticiper » et avait laissé à l'autorité politique la responsabilité de sa décision. Aujourd’hui, le virus circule encore, mais il semble sous contrôle. Le pari gouvernemental devrait être gagné. Une fois les municipales passées, l’exécutif va pouvoir se réinventer et dessiner un nouveau chemin. Le Président de la République n’attend que ça.
Reste que dimanche prochain, la démocratie locale ne sera pas à la fête. Le caractère atypique du premier tour risque de se reproduire au second jusqu’à altérer la sincérité du scrutin. Le 15 mars avait d’abord été marqué par un effondrement de la participation. 45% des inscrits s’étaient déplacés dans les bureaux de vote contre 65% en 2014. En se répétant, cette assiduité civique déficiente donnera des exécutifs communaux mal élus et en manque de légitimité dans une démocratie déjà fatiguée. La peur du virus laissera la place à un état d’inquiétude généralisé compte tenu de l’état d’extraordinaire faiblesse dans lequel se trouve l’économie française. L’incertitude sur l’avenir et l’état du pays est telle que chacun voit bien que le redressement espéré, et attendu, ne se jouera pas au niveau local.
Bien qu’on nous raconte que les maires sont les élus préférés des français, ils ne seront pas déterminants pour la relance. Les promesses sont du côté de l’Etat qui protège et soutient, qui finance et s’endette. En apesanteur sociale, encore un peu confinés dans leur tête et anesthésiés par le chômage partiel, les françaises et les français tentent de se réapproprier une liberté retrouvée. Les électeurs sont démobilisés.
Ce désintérêt massif pour les élections municipales tient aussi à la modification des équilibres dans la configuration politique de certaines villes. Là où la logique électorale classique aurait amené les électeurs à corriger ou confirmer la tendance sortie des urnes le 15 mars, le désordre s’est emparé de cet entre deux tours dépourvue de véritable campagne électorale. Il en a déstabilisé un peu plus l’organisation partisane traditionnelle. Au delà de la percée incontestable des candidats d’EELV, opportunément portés par les préoccupations environnementales et les enjeux écologiques, le scrutin de dimanche dessine des alliances disparates, chamarrées et parfois incongrues, où les jeux personnels, les calculs intéressés et les ambitions contrariées trouvent à s’exprimer contre nature. Les particularismes locaux en sont exacerbés et prennent le pas sur le système classique des partis dominants. La recomposition du champ politique ne s’en trouve pas vraiment clarifiée. Elle est encore en marche. On patientera car, encore une fois, l’essentiel n’est pas là. L’attente des françaises et des français est ailleurs. L’enjeu électoral du moment apparaît décalé.
La réinvention du jour d’après
Retraite à point, méthode à poigne
Faut-il être maso pour se lancer dans un réforme des retraites? En 1991, Michel Rocard qui préférait l’hypothèse de la connerie à celle du complot (« la connerie est courante, le complot exige un esprit rare ») avait donné une réponse devenue un considérant majeur de l’action publique : « avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire sauter plusieurs gouvernements ».
La réforme des retraites est un serpent de mer. De 1993 à 2014 en passant par 2003, nombreux sont les gouvernements à avoir voulu retoucher les régimes d'assurance retraite. Ils ont agit plus ou ou moins à ciel ouvert et la portée de leurs actions s’apparente davantage à du replâtrage parcimonieux qu’à la refondation éclatante du pacte social. Difficile alors de faire croire au grand soir et à la réforme enchantée.
Comment avancer dans un esprit de concorde mêlé de « bravitude » quand l’air ambiant gonfle les voiles d’un populisme délétère et nous renvoie à la perception d’un futur décati? Notre modèle social est à bout depuis trente ans. S’il fait encore son office, c’est sous l’autorité d’une dette abyssale ; un sombre héritage pour les générations futures. Au surplus, notre pays navigue à vue dans une globalisation qui rebat les cartes de la puissance et de la prospérité, des périls et des conquêtes, des risques et des opportunités. Comment agir dans un contexte aussi anxiogène? Le corps social est fatigué ; la fièvre révolutionnaire couve.
L’âge pivot cristallise toutes les inquiétudes à l’égard d’une réforme impossible à conduire dans une confiante sérénité. Mais l’alibi est facile. Sous prétexte de dévoiler les mauvaises intentions comptables du Gouvernement, il révèle la répartition, au sein de la classe politique et syndicale, du courage et son corollaire le progrès qui ne vaut que s’il est partagé par tous.
L’âge légal de départ en retraite est un totem! Un objet intouchable qui justifie toutes les lâchetés et les renoncements. Emmanuel Macron l’avait bien compris en annonçant, lors de sa campagne vouloir faire œuvre de modernité en instaurant un système universel sans toucher aux 62 ans instauré de manière progressive en 2011. Qu’il en soit à demi pardonné.
Les avantages acquis ne sont pas immuables, surtout lorsqu’ils font face à des déficits. Que l’on compte en points ou en trimestres, le niveau de la retraite dépend avant tout de celui de la cotisation - taux et durée - et du niveau de rémunération durant la carrière. L’aspect paramétrique est indissociable de l’approche systémique. Force est à la loi de l’équilibre dans un système de répartition générationnel. Elle en fait un préalable à toute réforme. Se faisant, celle du PM s’inscrit dans cet entêtant « en même temps ». Si la retraite à point est une idée de gauche, la droite responsable a toujours préconisé une méthode à poigne, avec des mesures d’âge.
La venue de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale
"Au lieu de nous féliciter, essayez de faire quelque chose"! Greta Thunberg l’a joue provoc! C’est par la trouille qu’elle veut faire bouger les choses. On devrait lui apprendre que la peur n’évite pas le danger. S’en prendre au gouvernants sous prétexte qu’ils ne font rien, ou s’agitent en deçà de l’urgence à réagir, frise la démagogie quand bien même, l’alerte émane d’une jeunesse scrupuleuse et rigoriste qui s’inscrit dans un combat générationnel.
Gouverner, c’est prévoir! Au rythme où les réformes se déploient, et si tant est qu’elles soient constantes, l’action d’aujourd’hui vaut pour après-demain. Les politiques rêvent d’infléchir la tendance avant les prochaines élections. S’agissant du climat, comme de la dette ou des déficits, c’est peine perdue. Si l’action publique est en marche, elle ressemble à ces monstrueux paquebots, propulsés au fuel, qui mettent des plombes à changer de cap.
L’interpellation de cette jeunesse « Youth for the climate », et les évocations de fin du monde, donnent un coup de fouet médiatique à nos consciences léthargiques. La mobilisation des générations futures interpelle pour mieux stigmatiser les faiblesses des grandes personnes. Néanmoins, la radicalité du discours est une chose ; sa prise d’effet en est une autre. Même si elles durent de plus en plus longtemps, nos existences restent éphémères. Notre passage sur la terre est pavé d’incertitudes. Nos modes de vie sont anxiogènes quand l’idéologie consumériste et hédoniste supporte encore les espérances de l’humanité, notamment pour la part la plus en écart en termes de pauvreté et de niveau de vie. Une alternative radicale peine à émerger. À l’échelle de nos vies, nous sommes tous responsables.
Ces périodes caniculaires qui s’intensifient en se répétant, éprouvent notre humeur et notre physique. Elles nous inquiètent autant qu’elles nous affligent. Il faudrait ralentir la marche du monde vers son agonie. « Le réchauffement n’a jamais été aussi universel ». Entre conscience et déni, injonction à faire ou passivité à agir, culpabilité ou incrédulité, demeure une certaine aversion au changement dès lors que la lutte contre le changement climatique vaudrait régression délibérée et renoncement affiché pour le progrès. Tout est affaire de définition et il convient de savoir de quel progrès nous parlons et quel progressisme il met en œuvre. Il n’empêche. Les crises en tout genre persistent et s’amplifient depuis quarante ans. Elles n’ont pas éteint les rêves de jours meilleurs pour la prospérité et le bien-être de tous. Entre fin du monde ou fin d’un monde, il est difficile de choisir.