La polémique autour du pouvoir d'achat

Pouvoir d'achat en baisse ou vie trop chère? Thomas Piketty tente dans une chronique à Libération de clarifier les choses et sa démonstration frappe par l'irréalité qui entoure parfois les intellectuels à force de jouer avec des concepts, des modèles et des estimations corrélées à des statistiques.

D'accord avec Thomas Piketty pour ne pas dénoncer, de manière démagogique, l'infaillibilité scientifique de l'INSEE qui constate que les revenus ont progressé plus vite que les prix. Le problème c'est que pour arriver à une telle assertion, elle nous présente des chiffres relevant d'un calcul effectué à partir de grandes masses. Il suffit que Thomas Piketty apporte quelques précisions méthodologiques et affine la recherche pour finir par écrire: "Pour résumer, disons que la hausse réelle du pouvoir d'achat est très proche de 0% et que l'écart entre la hausse des prix et celle des revenus est en tout état de cause totalement imperceptible à l'oeil nu."

De la part, de Thomas Piketty, c'est, me semble-t-il, une reconnaissance implicite à défaut d'être inconsciente, de la manière dont l'opinion publique perçoit le traitement globalisant de l'information à partir de grilles d'analyses empruntant beaucoup à la statistiques pour "modeler" la réalité du vécu, sous prétexte de venir appuyer une vérité irrévocable.

Cette polémique rappelle deux souvenirs sur les limites de l'expertise au service du discours politique face au ressentiment de l'opinion.

Le premier date du 16 février 1983, Pierre Mauroy, alors Premier ministre de la France est l'invité de l'émission politique "l'Heure de vérité". Une alternance inédite a eu lieu il y a un peu moins de deux ans. La gauche est aux affaires et l'économie nationale rencontre quelques turbulences idéologiques. En début d'émission, le Premier ministre sort alors cette phrase restée célèbre et qui donnera prise aux critiques les plus vives: "Je vous montrerai que les indicateurs, ou pratiquement tous les indicateurs de la politique gouvernementale, finalement, se remettent tranquillement au vert." Effectivement les médias et l'opposition s'en donnèrent à coeur joie le lendemain pour dénoncer l'aveuglement "tranquille" du chef du gouvernement. De fait le sentiment exprimé par Pierre Mauroy, n'était pas conforme à la réalité ressentie dans le pays.

Le second, plus récent fait référence à la campagne présidentielle de 2002 dans laquelle l'insécurité avait constitué un point fort du contexte. A l'époque, le parti socialiste - son candidat avait, je crois, utilisé le mot - évoquait un sentiment, sous entendant qu'il pouvait s'agir d'un effet de l'imagination des françaises et des français, là ou beaucoup d'entre eux voyaient dans le développement des exactions et des voies de fait sur les biens et les personnes, un élément de leur vie quotidienne.