Du bon côté
C'est la place que les évêques de France ont choisi d'occuper avec ça.
L'immigration donne prise à tous les fantasmes en même temps qu'elle fait profusion de compassion délivrée par ceux la même dont c'est le sacerdoce. Leur en vouloir serait terriblement facile. Comme il serait réducteur de stigmatiser celles et ceux qui veulent limiter les effets d'un exode des pauvres vers chez les riches.
Puisqu'il s'inspire de sa parole, ce communiqué de presse rappelle, de loin, le paradoxe du message de Jean-Paul II si souvent condamné sur l'usage du préservatif. D'où il était, il n'avait d'autre courage que celui de prôner l'amour et la fidélité comme la meilleure des protections pour éviter la propagation du virus du sida en Afrique. Hélas, sur le terrain, ses mots étaient vides de sens car pour prévenir un tel fléau et en prémunir les populations les plus menacées, il n'y a pas de principes à négocier et de valeurs à soupeser. Se faisant, l'ancien Pape était une voix, une personnalité hors du commun dont la force de l'expression n'avait pas grand chose à voir avec les admonestations insidieuses, récurrentes, maladroites et en l'occurrence tardives, des évêques de France à l'égard d'un pouvoir temporel qui essaye tant bien que mal de "se débrouiller" de l'immigration.
De fait, le plaidoyer en défense de la dignité humaine portée par l'église heurte frontalement le mur du vécu migratoire. Pourquoi fermer la porte à "nos frères et soeurs en humanité"? On se le demande surtout si c'est prendre le risque de perdre son âme.
L'église sait nous ramener facilement à notre mauvaise conscience. Pourtant, la déclaration culpabilisante des évêques ne peut suffire à infléchir la réalité d'un monde confronté comme jamais à l'inévitable mouvement des populations.
"...les chrétiens refusent par principes de choisir entre bons et mauvais migrants entre clandestins et réguliers, entre citoyens pourvus de papiers et d'autres sans papiers." c'est louable. Pour autant, il n'est pas certain que ces refus raffermisse le respect dû à un clergé qui se faisant, quelque part, se lave les mains des conséquences d'un pays ouvert à tous les vents. Ne pas choisir, c'est subir la disparition à la pelle de ces morts la faim qui au péril de leur vie, traversent les mers sur des rafiots de fortune. Accepter l'incursion clandestine de ces silhouettes diffuses qui sombrent à l'état de sous homme dans des pays qui ne peuvent plus accueillir toute la misère du monde, c'est faire preuve d'un certain renoncement.
Etant en entendu que les questions posées par le Projet de loi sur l'immigration sont ailleurs, l'ADN, cette matière qui fait peur parce qu'elle touche à la manipulation du vivant et interpelle l'éthique, ne serait que le prétexte facile aux élucubrations ecclésiales. L'église française a toujours manifesté une position ambigüe face à l'immigration. En témoigne les occupations d'églises par des sans-papiers qui n'ont fait que rendre un peu plus confuses des situations sans issues. Car dans le même temps, la conférence des évêques de France prend bien soin de préciser qu'elle n'entend "pas contester la responsabilité propre des pouvoirs publics dans la régulation des flux migratoires, pourvu qu'elle s'exerce en conformité avec le droit européen et international". Or, des débats à l'Assemblée nationale sur ce fameux amendement "ADN", on apprend que douze pays de l'Union européenne ont adopté une mesure de ce type. L'usage sans foi ni morale d'informations génétiques serait donc à la porte de notre pays qui par l'éclair de son génie, saurait, seul contre tous, se détourner de telles pratiques.
Se faisant, l'église manque au devoir de pédagogie qui s'attache à son ambition. Dans une déclaration alambiquée, elle joue des mots sans s'attacher à décrire la stricte portée de la mesure adoptée nuitamment par les députés, et qui sera retoquée par les sénateurs. A la lecture du texte, seul le demandeur pourrait avoir l'initiative du recours au test ADN, et non l'administration chargée d'instruire sa demande. En outre, il ne serait possible que pour le demandeur ressortissant de pays dument répertoriés et dans lesquels l'état civil présente des carences. Enfin, si le visa est accordé, les frais avancés pour cet examen seraient remboursés par l'Etat français au demandeur. Ces trois conditions semblent plutôt servir la cause des candidats au regroupement familial qui sont de bonne foi. Les autres pourront toujours continuer à faire valoir leur droit dans les conditions actuelles.
Enfin, sans en avoir peut-être conscience, le clergé français s'immisce dans une querelle politicienne qui prend forme en cette rentrée parlementaire. Le texte du Gouvernement relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est le premier sur lequel les rivalités internes à la majorité peuvent véritablement s'épanouir. Sous couvert de son penchant humaniste, Jean-Pierre Raffarin, fine lame, s'est engouffré dans le brèche. De la réforme des institutions qui s'ébauche lentement mais surement à la demande du Président de la République, c'est peut-être le Sénat qui a le plus à perdre. Cette maison vit mal "la rupture", comme en témoigne la charge du chef de file des sénateurs UMP contre le dévoiement possible des règles de la Vème République ou l'ouverture à la mode de Nicolas Sarkozy. Par surcroît, la Haute-Assemblée est entrée dans les grandes manoeuvres pour remplacer son président cacochyme. Au plus tard, l'élection de son successeur aura lieu dans un an. La campagne ourdie au sein du groupe UMP pourrait donner à certains l'occasion de manifester quelques velléités de résistance au pouvoir exécutif dont l'hégémonie commence non seulement à agacer mais également peut-être à inquiéter.