Le retour des 35 heures et autres ritournelles
La politique est un éternel recommencement et les hommes politiques, dépourvus d'innovation périlleuse au delà des modes de pensées traditionnelles et des discours convenus, aiment ressasser. Mieux vaut asseoir sa notoriété sur des thèmes porteurs d'échos mémorables qui diffusent la douce nostalgie des batailles passées.
Prenez les 35 heures. On nous en rebat les oreilles depuis qu'un socialiste qui entend se pousser du col dans la course aux primaires, en a dénoncé le principe et la vertu: "Oui, nous devons déverrrouiller les 35 heures,...". Il prétend ainsi lever le voile sur un tabou de gauche ; l'avilissement de l'homme par le travail ou le droit à la paresse. Karl Marx et son gendre ne sont pas mort! Aussitôt un hourvari s'élève. ll s'imprime sur les gazettes. On en parle à la télé et ça fait le buzz. Manuel Valls a fait son coup comme on lâche un pet. En admonestant son camp de manière assez paradoxale, il relance une controverse qui incarne depuis quinze ans le clivage gauche-droite. Qu'importe l'épaisseur du temps traversé. Au cours des débats parlementaires sur le projet de loi TEPA, en 2007, il s'est certainement trouvé des orateurs de la majorité vanter les heures supplémentaires en invectivant la gauche pour ses errements vieux de dix ans sur la durée légale du temps de travail et malgré cinq lois d'assouplissement votées depuis sous la droite.
Par cette polémique ainsi relancée, la "dame des 35 heures", prétendante supposée mais famélique à la présidentielle, est visée, de même que Dominique Strauss-Kahn dont la ductilité aux entrechats doctrinaires comme géographiques - de Sarcelles à Chicago en passant par Marrakech - finit pas nous faire douter de son influence déterminante à l'époque de la réduction du temps de travail.
En fait les 35 heures et son corollaire - le délicieux acronyme - les RTT, constituent l'un des poncifs qui irriguent le débat politique comme autant de marqueurs simplificateurs d'une récurrence belliqueuse gagnée par une exaspération sociale capable de faire descendre les français dans la rue. Le thème des retraites est de cette eau. Si on a trop rien dit - la droite était groggy - lors du passage de l'âge légal à 60 ans, on s'est rattrapé depuis. Ce fut le bon mot de Michel Rocard qui, apeuré par sa propre audace, déclara que ce dossier a de quoi faire sauter quatre Gouvernements. Ces successeurs socialistes rivaliseront de candeur réformatrice à coups de rapports et de commissions alors qu'Edouard Balladur profitera d'une torpeur estivale pour engager l'inéluctable. Dix ans après on arrive à la réforme qui avant d'être celle de Jacques Chirac, appartient à François Fillon et l'on vient de passer la dernière couche en défaisant ce qui fut un acquis social vingt ans durant. La gauche, perdue dans son éternelle surenchère, fanfaronne en déclarant qu'elle reviendra sur ce qui vient d'être fait. En politique, l'avenir est plein d'un immense suspens en forme d'allers retours.
D'autres sujets jouent ce rôle de marqueurs qui finissent pas simplifier des débats inutiles à force d'être répétitifs. En matière de sécurité et de libertés publiques la relance à jamais achevée porte sur le dilemne qui place la répression face à la prévention. Elles ont chacune leurs laudateurs, jusqu'au jour où le totem vacille, voir change de camps. Celui qui distinguait la gauche n'est plus aussi grand depuis qu'une candidate à l'élection présidentielle invoqua"l'ordre juste".
En guise d'ultime exemple de cette confrontation thématique répétée: l'école publique contre l'école privée. A son corps défendant, François Mitterrand avait cru devoir respecter son engagement de campagne et s'en prendre à la calotte en instituant un grand service public laïque et unifié de l'éducation nationale. Il ranima la guerre scolaire. Mal éteinte, elle a été ravivée à plusieurs reprises depuis lors même si François Bayrou est gêné qu'on en parle. Avec ce XXIème siècle plus que fervent, la République laïque qui pour le coup nous ramène un siècle en arrière, pourrait bien subir un retour de flamme pour peu qu'une nouvelle fois, un Manuel Valls joue les pompiers pyromanes.